Pour commencer, je tiens à exprimer mon entière adhésion à la mission — certes un peu utopique — que porte le livre Le grand mystère des règles de Jack Parker (Flammarion 2017) : abolir une fois pour toutes l’odieux tabou des règles. Un tabou dangereux, aux conséquences profondes pour les femmes, autrement dit la moitié de l’humanité. Et pas seulement pour elles : car la santé reproductive ne concerne pas uniquement les femmes. Elle concerne l’espèce humaine dans son ensemble, puisqu’il s’agit, tout simplement, de santé.
Un livre pour qui ?
Écrit en 2017 par Taous Merakchi (alias Jack Parker) à la suite du succès de son blog Passion Menstrues, ce livre frais, agréable et facile à lire semble s’adresser en premier lieu aux jeunes filles en manque d’informations. En effet, en fréquentant différents blogs et forums, l’autrice s’est rendu compte de l’étendue de l’ignorance des jeunes à propos de leur corps, de son fonctionnement, de la façon d’en prendre soin et de bien gérer la fonction reproductive sans avoir de mauvaises surprises. Finalement pas tellement étonnant, vu que parler des règles, donc aussi poser des questions, ce n’est pas très apprécié et peut être très embarrassant. Et que l’éducation sexuelle n’est pas toujours à l’ordre du jour. (Misons sur le nouveau programme ministérial d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle applicable à la rentrée de septembre 2025.)
C’est pour cela que, à mon avis, les points forts du livre sont les chapitres sur la nature des règles (couleur, consistance, fréquence), sur les protections hygiéniques, sur les crampes, sur le syndrome prémenstruel. Des pages pleines de conseils concrets, livrés avec humour, qui peuvent aussi profiter aux adultes de tous genres.
Il en résulte un petit manuel pratique et pédagogique que j’aurais envie d’offrir à ma fille, si j’en avais une, ou à la fille que j’ai été dans les années 90. Sans Internet, sans (pour la plupart d’entre nous) informations reçues dans le cadre familial, scolaire ou institutionnel… comment avons-nous fait, à l’époque ? La lecture de ces pages m’a ramenée à mes 16 ans. Aujourd’hui, j’ai le recul pour comprendre les conséquences du manque d’éducation sexuelle dans ma génération. Mais je crains que la situation actuelle ne soit, au fond, que légèrement meilleure.
Tu devrais consulter !
Le livre a aussi le mérite de rappeler, à plusieurs reprises, l’importance de consulter des professionnels de santé en cas de doute ou de problème, pour surveiller, prévenir, voire soigner certaines maladies gynécologiques comme l’endométriose ou le syndrome des ovaires polykystiques. Dommage, cette partie reste un peu brève. Elle aurait, par exemple, pu mentionner d’autres pathologies à surveiller, comme les fibromes utérins. Certes, l’espace d’un livre est limité, et il faut faire des choix. Mais puisque d’autres digressions, parfois moins essentielles (quoique intéressantes), trouvent leur place dans l’ouvrage, on peut regretter que celle-ci n’ait pas été un peu plus développée.
Menstruer n’est pas un crime

Le livre est joliment illustré par Madel Floyd
D’autres chapitres explorent les raisons du dégoût suscité par le sang menstruel, les faux mythes qui l’entourent (mayonnaise qui tourne, etc.), ainsi que les pratiques barbares infligées aux filles au moment du ménarche (les toutes premières menstruations), partout dans le monde, y compris chez nous. Sérieusement, certaines mères européennes pensent qu’une gifle c’est une façon correcte d’accueillir leur fille dans le monde des femmes ?
Eh bien, tout cela montre à quel point la route reste longue avant que les règles puissent être simplement perçues comme un fluide corporel sain, issu du fonctionnement normal du corps. L’autrice propose toutefois plusieurs pistes pour briser le tabou et contribuer à normaliser — ou du moins à dédiaboliser — les menstruations.
Mon coup de cœur personnel : le chapitre sur l’art menstruel

Auteur Juan Chien-Han. Source Wikimedia Commons
Je ne suis pas une spécialiste des pratiques artistiques, mais je suis convaincue que l’évolution de la société ne peut se faire sans la contribution de tous les regards, de toutes les approches. Tous ceux qui me connaissent un peu savent combien les sciences — dures, humaines et sociales — sont au cœur de mon métier comme de mes intérêts personnels. Mais j’ai le sentiment que les artistes, souvent, sont plus libres d’explorer et d’intégrer leur expérience intime dans leur démarche de recherche.
Dans les années 1970 déjà, des artistes comme Judy Chicago et Miriam Schapiro (Red Flag), Leslie Labowitz (Menstruation Wait), Carolee Schneemann (Blood Work Diary) ou Vanessa Tiegs (Menstrala) avaient ouvert la voie à un dialogue décomplexé sur les règles.
Un mot final sur l’autrice
Après Le grand mystère des règles, Taous Merakchi a continué à écrire des ouvrages documentaires et des romans. Pour ma part, j’avais déjà eu l’occasion de connaitre sa vision des choses en lisant la préface de Le sexocide des sorcières de Françoise d’Eaubonne, Editions Au Diable Vauvert, 2023. C’était intéressant de voir deux textes militants féministes de style si différents dans le même ouvrage et de voir l’évolution du langage, des sujets de lutte et du style dans le temps. D’où l’intérêt d’ajouter une préface à pamphlet datant de 1999.
Un grand merci aux éditions Flammarion pour l’envoi de ce livre ! #gifted
Source des images : Wikimedia Commons